La bataille de la Ristigouche

Par Brad Davidson et Marc Milner


Location of the siteSource : Plan directeur du lieu historique national de la Bataille-de-la-Ristigouche, 2007Au printemps 1760, l’avenir du Canada demeurait incertain. Les Britanniques s’étaient emparés de Québec l’automne précédent, mais ils furent bientôt assiégés à l’intérieur de la forteresse, tandis que les forces françaises contrôlaient les campagnes. Des secours pour les deux parties étaient en route en provenance d’Europe. Les espoirs des Français furent anéantis lorsque les forces de secours furent interceptées dans le golfe du Saint-Laurent en mai et cherchèrent refuge à la tête de la baie des Chaleurs. C’est à cet endroit, lors de la bataille de la Ristigouche, en juin et juillet 1760, que le sort de l’empire français en Amérique du Nord – et celui du Canada – a été scellé.

Les Français, dont la flotte avait été en grande partie détruite par les Britanniques l’année précédente, ne purent rassembler qu’une petite force de secours au printemps 1760. Six navires transportant des ravitaillements et un petit nombre de soldats partirent de Bordeaux à destination de Québec en avril 1760. Le commandant était le « très compétent » lieutenant de frégate François Chenard de La Giraudais.

Le blocus dressé par les Britanniques le long des côtes françaises mena à la capture de deux navires, tandis qu’un troisième vaisseau s’échoua. Seuls trois navires réussirent à franchir le cordon britannique au large de Bordeaux.

À son arrivée dans le golfe du Saint-Laurent, La Giraudais se donna pour objectif de faire des ravages parmi les navires britanniques qui transportaient des ravitaillements vers Québec. Le 17 mai, sa petite flotte avait réussi à capturer huit navires britanniques. Toutefois, La Giraudais découvrit bientôt que les Britanniques étaient arrivés en force avant lui sur le fleuve Saint-Laurent. Il lui était impossible de faire voile directement jusqu’à Québec.

Site componentsSource : Plan directeur du lieu historique national de la Bataille-de-la-Ristigouche, 2007En dépit de ses instructions qui l’autorisaient à mettre les voiles sur les Antilles si les Britanniques avaient atteint le Saint-Laurent les premiers, La Giraudais décida de s’abriter dans la baie des Chaleurs et d’atteindre des instructions du gouverneur du Canada. Le 19 mai 1760, sa flotte jeta donc l’ancre sur la rive nord de la baie des Chaleurs, au large du village acadien de La Petite Rochelle, près du lieu maintenant appelé pointe à la Batterie. La Giraudais et sa flotte devinrent bientôt un « pôle d’attraction » pour les Acadiens affamés qui s’étaient réfugiés dans la région afin d’échapper à la campagne de déportation menée par les Britanniques.

Un bateau fut envoyé à Montréal pour annoncer l’arrivée de la flotte, et l’une des goélettes britanniques qui avaient été capturées fut dotée d’un équipage et envoyée à la baie des Chaleurs pour surveiller les Britanniques. La Giraudais était persuadé que les Britanniques n’étaient pas au courant de leur présence et qu’ils ne réagiraient pas.

Mais La Giraudais était trop sûr de lui; les Britanniques savaient que lui et sa flotte étaient arrivés et ils envoyèrent des forces massives pour les affronter.

“Foulweather Jack” Byron “Foulweather Jack” Byron
Source : Wikipedia
L’homme choisi pour « écraser » la flottille française était le capitaine John Byron, surnommé Foul-Weather Jack (« Jack Mauvais Temps »), de la Marine royale. Il dirigeait des forces puissantes composées de huit navires de guerre de Louisbourg, qui étaient appuyées par neuf autres navires de la force qui gardait l’entrée du fleuve Saint-Laurent. Plusieurs d’entre eux étaient des « navires de ligne » qui transportaient de 60 à 80 canons. Il s’agissait d’une démonstration de force imposante.

Ironiquement, ce fut le mauvais temps qui fit en sorte que Byron et son navire arrivèrent dans la baie des Chaleurs avant le reste de la flotte britannique. Byron captura immédiatement la goélette que La Giraudais avait envoyée à Montréal pour donner une alerte précoce de l’arrivée des Britanniques, mais les Français apprirent bientôt la nouvelle qu’une escadre britannique se trouvait dans la baie.

La Giraudais commença à se préparer au combat. Sa force comprenait sa petite frégate, le Machault (26 canons), et deux navires marchands, le Bienfaisant (22 canons) et le Marquis de Malauze (18 canons), et 1 400 hommes, dont 420 soldats et marins, et le reste était des miliciens acadiens et des alliés mi’kmaq. Au lieu d’affronter directement les Britanniques, La Giraudais fortifia les berges de la rivière en vue de faire payer aux Britanniques un prix inacceptable pour la victoire.

La bataille de la Ristigouche. Mike Bechtold
La bataille de la Ristigouche. Mike Bechtold
La Giraudais espérait retenir les Britanniques à l’endroit qui s’appelle maintenant pointe à la Batterie, là où le chenal nord de la baie passe près du littoral. La Giraudais y débarqua quatre canons de 12 livres et un canon de six livres et la moitié de la poudre à bord du Machault. De plus, il y construisit une batterie pour garder le chenal. Ensuite, il fit couler cinq navires britanniques afin de créer un obstacle à portée de tir de la batterie. Les autres bateaux furent envoyés vers l’amont, à un mouillage abrité situé dans l’estuaire de la Ristigouche. Les Français terminèrent leurs travaux le 27 juin 1760, le jour même où les Britanniques lancèrent leur premier assaut.

Pendant les cinq jours qui suivirent, les Britanniques bombardèrent la batterie française sans grand résultat. Le 3 juillet, Byron avait découvert le chenal sud dans la baie et était parvenu à se frayer un chemin en amont de la batterie et à se mettre à l’abri du danger.

S’étant fait déjouer, les Français enclouèrent et détruisirent les canons de la batterie et se replièrent à l’embouchure de la rivière Ristigouche. Sous les tirs de couverture lancés par ses navires, Byron débarqua 200 hommes, qui entreprirent de détruire la batterie et d’incendier le village de La Petite Rochelle. Battu mais non vaincu, La Giraudais s’était préparé en conséquence. Il avait également construit des batteries pour couvrir les passages étroits à l’embouchure de la Ristigouche, entre Martin’s Point (Campbellton) et Pointe-à-la-Croix, au Québec.

Quand les Britanniques atteignirent Martin’s Point le 7 juillet, les Français étaient prêts. L’attaque fut repoussée à deux reprises. Ensuite, les Britanniques halèrent vers l’amont leurs deux petites frégates, le Scarborough et le Repulse, en utilisant des bateaux à rames pour faire taire les tirs provenant du côté de Campbellton. Une fois que la petite batterie de Martin’s Point fut détruite, les Britanniques reportèrent leur attention sur les navires français qui attendaient de l’autre côté de Pointe-à-la-Croix.

Le 8 juillet 1760, l’affrontement final débuta. À cinq heures du matin, la frégate britannique Repulse échangea des tirs avec le Machault, qui bloquait l’accès vers l’amont, et la batterie de Pointe-à-la-Croix. Bien qu’il ait subi des dommages énormes – à un certain moment, il coula au fond avant qu’on puisse boucher les trous de tir et pomper l’eau –, le Repulse le força le Machault à se soumettre. Ayant perdu la bataille, La Giraudais ordonna qu’on fasse brûler sa frégate et le Marquis de Malauze pour éviter leur capture.

Cependant, il ne pouvait pas mettre le feu au Bienfaisant, car il était plein de prisonniers britanniques. Les Français abandonnèrent les prisonniers à leur sort, mais l’un des prisonniers plongea dans la rivière et nagea jusqu’à la flotte britannique. Une mission de sauvetage fut lancée et des embarcations furent envoyées en amont sous d’intenses tirs d’artillerie et de mousquets français. Les hommes furent rescapés et emmenés en sécurité à la rame, mais six d’entre eux perdirent la vie dans l’opération.

Il ne restait plus grand-chose de la flotte française. Pour régler l’affaire, Byron envoya 425 hommes en amont dans des barques afin de « finir le travail ». Les Français brûlèrent quatre bateaux et défendirent le reste par des tirs de mousquet si furieux que les Britanniques se replièrent. Au lieu de lancer un autre assaut, Byron, satisfait d’avoir anéanti l’effort de secours des Français, descendit à l’embouchure de la rivière le 9 juillet, où il jeta l’ancre.

La bataille de la Ristigouche décida du sort du Canada, selon les mots de l’historien Marc Milner. La seule tentative des Français pour secourir Québec fut anéantie.

Lieu historique national de la Bataille-de-la-Ristigouche
Source : Lieu historique national de la Bataille-de-la-Ristigouche
La Giraudais s’échappa du blocus britannique dans la baie des Chaleurs le 10 août 1760 et retourna en France. Le reste des hommes de la garnison de la Ristigouche n’eurent pas autant de chance. Leur tentative de fuite fut repoussée par les navires britanniques. Le commandant français à Ristigouche reçut bientôt une lettre de Grande-Bretagne lui ordonnant d’adhérer aux conditions de la reddition de la Nouvelle-France. Le 30 octobre, la garnison repartit en France.

NBMHP | Battle of the Restigouche | UNB
Source : NBMHP | Battle of the Restigouche | UNB
Il est rarement fait mention de la bataille de la Ristigouche dans les livres d’histoire ou les comptes rendus de la chute de la Nouvelle-France. Non seulement elle semble éloignée du principal théâtre des opérations, situé sur les rives du Saint-Laurent, mais de plus c’est une histoire acadienne et, par conséquent, étrangère à la conscience des Québécois et des Québécoises. Elle est commémorée par un lieu historique national et un petit musée à Pointe-à-la-Croix. Du côté néo-brunswickois, deux canons français installés dans le parc Riverview, sur la rue Water à Campbellton, marquent l’emplacement de la batterie Gilbert à Martin’s Point.



Bibliographie

Marc Milner et Glenn Leonard, New Brunswick and the Navy: Four Hundred Years (Fredericton : Goose Lane Editions/New Brunswick Military Heritage Project, 2010)