L’affrontement pour le contrôle de l’Acadie
Par Brad Davidson et Marc Milner
La première guerre « navale » qui a eu lieu dans ce qui est maintenant le Canada s’est déroulée dans la baie de Fundy dans les années 1640 et 1650. Mais l’affrontement en Acadie n’était pas entièrement entre des empires rivaux : il s’agissait en grande partie d’une lutte où des Français, les premiers Européens à s’établir en permanence dans la région, rivalisaient pour déterminer qui en aurait le contrôle.
Au cours du 16 e siècle, les monarques européens créèrent des empires outre-mer en accordant des chartes commerciales à des individus fortunés afin qu’ils explorent et exploitent le territoire en leur nom. La Compagnie de la Baie d’Hudson, fondée en 1670, est la dernière relique de cette époque. Le territoire des provinces maritimes actuelles, alors connues sous le nom « Acadie », fut divisé par le roi de France entre plusieurs petits nobles rivaux dont, souvent, les titres seigneuriaux se chevauchaient. En conséquence, leurs activités engendraient souvent des guerres privées, disputées dans des territoires lointains.
Charles de Menou d’Aulnay
Source : WikipédiaL’un des rivaux dans la course à l’Acadie était Charles de Saint-Étienne de La Tour, le fils
du seigneur de Port-Royal (dans la Nouvelle-Écosse actuelle). La Tour reçut une charte
pour exploiter la traite de fourrures le long de la rivière Saint-Jean, la source la plus riche
de fourrures dans la région. En 1632, il construisit un poste de traite fortifié à
l’embouchure de la rivière Saint-Jean. Initialement connu à Paris comme étant le fort
Sainte-Marie, il était couramment appelé le fort La Tour d’après son bienfaiteur.
Françoise-Marie Jacquelin
Source : WikipédiaAprès leur bataille peu concluante, d’Aulnay tenta d’obtenir le retour de La Tour en
France. La Tour, qui était protestant et qui, par conséquent, ne bénéficiait pas de la
faveur de la cour, ne fit pas le voyage et d’Aulnay reçut l’ordre de l’arrêter. La Tour
envoya sa femme, Françoise-Marie Jacquelin, en France pour plaider sa cause. Non
seulement Jacquelin défendit son mari en France, ce qui est tout à son honneur, mais de
plus elle l’aida à s’évader de Boston, où tous deux rassemblèrent une bande de
mercenaires, puis ils retournèrent à Saint John. Appuyés par quatre navires, ils
chassèrent la flotte de d’Aulnay de l’autre côté de la baie de Fundy.
L’impasse persista durant plusieurs années au cours desquelles d’Aulnay et Jacquelin La Tour, agissant encore une fois au nom de son mari, se rendirent en France plaider leur cause et revendiquer leur suprématie en Acadie.
Source : NBMHP|Fort La Tour|UNBLa chance tourna pour Charles et Jacquelin. Cette fois, d’Aulnay eut gain de cause et il ne perdit pas de temps pour s’en prévaloir. En février 1645, alors que Charles de La Tour était parti à Boston, d’Aulnay amena son navire, le Grand Cardinal, dans le havre de Saint John et bombarda le fort La Tour. Encore une fois, Jacquelin sauva la situation. Elle répliqua par des tirs de canon et chassa d’Aulnay de Port-Royal. Après avoir réparé son 3 navire, d’Aulnay revint en avril, débarqua son artillerie et, en sécurité sur le rivage, bombarda le fort pendant trois jours.
Le lundi de Pâques 1645, d’Aulnay et ses hommes ouvrirent une brèche dans les murs du fort La Tour. Jacquelin rendit les armes à condition que ses hommes soient épargnés. Dans un geste de vile perfidie, d’Aulnay fit plutôt pendre la plupart d’entre eux et força Jacquelin à regarder l’exécution. Elle mourut trois semaines plus tard et Charles, son époux, battit en retraite à Québec pour regrouper ses forces.
La victoire de d’Aulnay ne mit pas fin aux combats. Dans les années 1640, Nicolas Denys, un autre homme qui avait des intérêts commerciaux dans la région, se posa en rival. En réponse, d’Aulnay incendia le poste de traite de à l’île Miscou, dans le nord du Nouveau- Brunswick. Denys rentra en France, de sorte qu’il ne restait que d’Aulnay comme maître de l’Acadie pour l’instant.
D’Aulnay ne régna pas de manière suprême pendant longtemps : en 1650, il se noya dans un accident de canot. Cependant, même après sa mort, il continua de jeter une ombre sur la région. Son influence dans la région allait sonner le glas des ambitions de La Tour et de Denys.
En 1650, La Tour et Denys, ayant appris le décès de d’Aulnay, retournèrent en Acadie pour reprendre ce qu’ils avaient perdu. Denys fut arrêté à l’île du Cap-Breton par la veuve de d’Aulnay et brièvement incarcéré à Québec. Une fois remis en liberté, Denys établit un poste de traite à Nepisiquit (Bathurst), dans le nord du Nouveau-Brunswick, en 1652.
Un an plus tard, le fantôme de d’Aulnay revint hanter Denys. Emmanuel Le Borgne, le principal créancier de d’Aulnay, arriva en Acadie pour récupérer son investissement. Bien que Le Borgne l’ait emmené de force à Port-Royal, Denys fit parvenir à La Tour, qui pratiquait à nouveau la traite de fourrures le long de la rivière Saint-Jean, un message le prévenant de se préparer à ce qui allait suivre.
La Tour prépara son fort en vue d’une attaque. Celle-ci vint en 1654, quand Le Borgne assiégea le fort La Tour. Denys profita de l’occasion pour s’évader de Port-Royal pendant que Le Borgne était engagé dans un combat avec La Tour. Denys réussit à retourner en 4 France, où il fit l’acquisition de la Compagnie de la Nouvelle-France, y compris le droit de mener des activités commerciales du cap de Canso jusqu’à la Gaspésie.
La Tour n’eut pas autant de chance. Il résista à l’assaut de Le Borgne et le fit battre en retraite mais, le lendemain du départ de Le Borgne, un adversaire plus redoutable fit son entrée dans le havre de Saint John.
Robert Sedgewick, un corsaire anglais chargé de mettre fin aux efforts français visant à soutenir les Hollandais dans leur guerre contre l’Angleterre, arriva de la Nouvelle- Angleterre au commandement d’une petite flotte. Affaiblis par le siège de Le Borgne, La Tour et ses hommes se rendirent rapidement aux forces de Sedgewick. Celui-ci revendiquait maintenant de vastes portions de la région maritime de la Nouvelle- France, mais curieusement il épargna les établissements de Denys.
Après la guerre anglo-hollandaise, la France rétablit ses intérêts en Acadie. La Tour régla son différend avec la succession de d’Aulnay en épousant sa veuve. La Tour vendit ensuite tous ses intérêts dans la région au nouveau gouverneur de l’Acadie et se retira au cap de Sable, en Nouvelle-Écosse. Quant à Denys, il se retira à son poste de traite de Nepisiquit, où il rédigea « le document écrit le plus important des débuts de l’Acadie » et où il mourut en 1688 à l’âge de 85 ans.
La lutte pour le contrôle de l’Acadie a parfois été dépeinte comme une lutte mettant en scène un groupe de personnages dont les rôles ont marqué l’histoire. Toutefois, les recherches ont depuis démontré qu’il n’était pas si facile de déterminer qui était le héros et qui était le vilain. Des actes abominables furent commis de part et d’autre du conflit. La Tour et d’Aulnay étaient tous deux des hommes aux grandes ambitions.
Pour ce qui est du fort qui portait le nom de La Tour, il existe deux récits selon lesquels l’homme qui épousa la fille de La Tour essaya de le faire renaître. Ce qu’il en restait se détériora et même son emplacement exact tomba dans l’oubli.
Vue générale
(© Parks Canada Agency / Agence Parcs Canada.)
Source : Lieu historique national du Canada Fort-La-TourEn 1955-1956 et en 1963, des fouilles archéologiques ont permis de trouver les vestiges
du fort sous un monticule herbeux à Portland Point. Aucun plan contemporain du fort
n’a survécu, mais les fouilles ont révélé son empreinte sur le sol et un peu de sa
construction. L’endroit où les vestiges ont été trouvés a été désigné lieu historique par
Parcs Canada. Une réplique du fort et un centre d’interprétation ont été construits à
proximité.
Bibliographie
Milner, Marc and Glenn Leonard, New Brunswick and the Navy: Four Hundred Years, Fredericton, NB: Goose Lane Editions/New Brunswick Military Heritage Project, 2010
Gregory MW Kennedy, « À la recherche de sa propre voie : Charles de Menou, sa famille et sa carrière en Acadie », Revue d’histoire de l’Amérique française, vol. 66, no 2 (2012)
Dictionary of Canadian Biography
(http://www.biographi.ca/en/bio/le_borgne_emmanuel_1E.html )